CINÉMA - Montage

CINÉMA - Montage
CINÉMA - Montage

La définition la plus courante du montage en fait “l’organisation des plans d’un film dans certaines conditions d’ordre et de durée” (Marcel Martin). Le caractère vague de cette définition indique bien les multiples aspects du montage, qui a pu connaître certaines écoles, mais caractérise au plus intime le style, la personnalité et le propos de chaque grand réalisateur. Des personnalités aussi diverses que Welles, Godard ou Guitry à la fin de sa vie “montent” eux-mêmes et peuvent passer des jours, voire des mois, dans la salle de montage. D’autres, tels que Hitchcock ou Chabrol, considèrent le montage comme le simple achèvement technique nécessaire d’un projet initial.

Origine du montage

Le montage n’a pas toujours existé, et la profession de monteur n’est apparue aux États-Unis que vers 1913, et en France vers 1917. À l’origine, le cinéma ignore en effet le montage, si l’on entend par là la simple opération technique et manuelle qui consiste à coller bout à bout deux prises de vues. Le Cinématographe Lumière ne pouvait enregistrer en une seule fois que 17 mètres de pellicule, soit environ cinquante-deux secondes. Il arrivait aux opérateurs Lumière, quand ils filmaient un événement en direct et constataient que le sujet n’était pas bien cadré, d’arrêter l’enregistrement, de déplacer l’appareil de quelques centimètres et de reprendre la prise de vues. Ce premier stade du montage n’est encore que “logique”. Bientôt, les opérateurs d’actualités agiront de même en choisissant à chaque instant le meilleur point de vue. Lorsque, à la suite d’un blocage de la pellicule dans la caméra, Georges Méliès découvre le trucage par substitution d’un objet à un autre, c’est une autre forme de montage qui apparaît: elle affecte la nature même de l’espace et du temps, et aboutit aux montages symboliques ou métaphoriques. Dès janvier 1896, Louis Lumière colle bout à bout, à la projection, quatre films dont l’action s’enchaînait autour de l’intervention d’une brigade de pompiers: Sortie de la pompe , Mise en batterie , Attaque du feu , Le Sauvetage . Naît ainsi le stade “dramatique” du montage. Il ne reste plus qu’à faire varier la longueur des différents segments pour introduire la notion de rythme, puis à combiner les trois stades.

Découpage, montage

Pour S. M. Eisenstein, largement suivi par le philosophe Gilles Deleuze, le montage représente “le tout du film, l’idée”. Dziga Vertov parle, lui, de “montage ininterrompu”, “depuis le moment où l’on choisit le sujet jusqu’à la sortie de la pellicule définitive”. Mais le terme de montage ne se distingue pas toujours d’autres opérations proches, tel le “découpage”. Le découpage est l’instrument technique nécessaire au tournage, parfois complété par le dessin de chaque plan ou story board , qui préfigure le montage final en décidant de la longueur des plans, de leur contenu, de leur échelle et des angles de prise de vues. Le montage, opération manuelle et intellectuelle, peut remettre totalement en cause ce découpage préalable en jouant sur des coupes, des longueurs de plans, des substitutions ou déplacements d’images, de sons ou de séquences entières. La lutte pour le droit de regard sur le montage final (final cut ) fut et demeure un enjeu capital dans l’industrie cinématographique, tant les réalisateurs conscients de leur travail savent à quel point le montage peut transformer le sens et l’esthétique de leur mise en scène.

Le montage narratif

Si le principe du montage est connu dès 1896, il n’est utilisé à des fins dramatiques qu’à partir de 1900 par l’école anglaise de Brighton, lorsque George Albert Smith insère des gros plans dans un montage encore proche du scène-à-scène primitif (La Loupe de grand-mère , Ce que je vois dans mon télescope ), puis lorsque James Williamson applique le principe d’ubiquité (déjà utilisé instinctivement, on l’a vu, dans le reportage) au film de fiction, en entrecroisant trois actions (missionnaires assiégés, agresseurs, progression des secours) dans L’Attaque d’une mission en Chine (version de 1903). Aux États-Unis, Edwin Stratton Porter met au point, avec La Vie d’un pompier américain (1902) et surtout Le Vol du rapide (The Great Train Robbery , 1903), le “montage narratif” avec ses principales figures: insertions de gros plans, ellipses, alternances entre intérieur et extérieur, entre plan moyen et plan général, utilisation de la profondeur dans le déplacement des personnages, panoramiques, etc. Son Ex-Convict (1904), empruntant à la tradition du roman populaire (Charles Dickens, Eugène Sue), monte en parallèle non plus deux actions, mais deux modes de vie: l’ancien condamné dans son intérieur misérable, l’industriel qui lui refuse du travail dans sa maison luxueuse. Le “montage contrasté” ne vise plus à faire converger une pluralité de mouvements vers un but mais à suggérer une idée, à donner simplement à l’association de deux séries d’images un sens qui n’était pas contenu dans chacune d’elles.

Griffith, la coupe et la collure

On a attribué à tort à l’Américain David Wark Griffith des “inventions” qu’il n’a fait que perfectionner. Dans le domaine du montage, il a généralisé et surtout systématisé les montages narratifs, parallèles ou contrastés. À partir de 1908, avec Le Télégraphiste de Lonedale ou Les Mousquetaires de Pig Alley , il perfectionne le montage “continu”, constituant un espace cinématographique homogène, fluide, linéaire, aux points de vue multiples, mais sans rupture, préfiguration du montage invisible du cinéma classique hollywoodien qui se généralisera avec le parlant et connaîtra son apogée dans les années 1950. En 1915, Naissance d’une nation développe le montage parallèle de trois actions à la manière de L’Attaque d’une mission en Chine , mais la longueur respective des plans et leur échelle sont étudiées de façon à imprimer un rythme quasi musical à ce montage, accroissant ou diminuant à volonté l’émotion du spectateur. Avec Intolérance (1916), Griffith enchevêtre quatre épisodes non simultanés, dont le lien est purement thématique, à savoir l’intolérance universelle: le “comme” se substitue au “pendant que”. Cette fois, le montage n’est ni simplement narratif ni contrasté, mais “symbolique”. Sa complexité, avec l’introduction (même atténuée par les fondus ou encore par l’image-leitmotiv de la femme au berceau) de la coupe franche au détriment de la coupe cachée, donc d’une coupe nécessairement perçue comme telle par le spectateur, s’adressait autant, sinon plus, à l’intellect qu’à la sensibilité du public, qui la rejeta.

L’avant-garde française: voir et sentir

En France, La Roue , d’Abel Gance (1922-1923), pousse à l’extrême le montage rapide révélé par Naissance d’une nation pour en faire un “montage accéléré”. Le montage est principalement conçu par l’avant-garde impressionniste comme “cadence” (Louis Delluc), par analogie avec la musique. Le “montage rythmique” peut jouer sur l’accélération, mais aussi sur une lenteur savamment calculée comme dans La Chute de la maison Usher , de Jean Epstein (1928), ou La Souriante Mme Beudet (1922), de Germaine Dulac. L’avant-garde abstraite s’inspire également des arts plastiques pour mettre en mouvement les objets (Le Ballet mécanique , de Fernand Léger, 1924). Pour Germaine Dulac, chantre du “cinéma pur” et de la “symphonie visuelle”, le cinéma est par essence mouvement et ne peut tenir ce mouvement que de lui-même: seul le montage peut mettre en mouvement des formes et des objets, et bientôt des lignes et des volumes purement abstraits. Du montage griffithien, l’école française retient la pure sensation du mouvement (“Voir et sentir, cela nous suffit”, René Clair) et la tentation du simultanéisme parfait: en 1927, dans une même séquence de Napoléon, vu par Abel Gance , les trois écrans juxtaposés montrent trois actions auxquelles s’ajoutent les neuf images différentes d’une même action sur l’écran central éclaté.

L’avant-garde soviétique

Les cinéastes soviétiques des années 1920 vont également faire du montage le centre de leurs préoccupations. En montant un même gros plan d’acteur face à des images différentes, Lev Koulechov démontre que le spectateur produit lui-même les liaisons entre les images et les sentiments qui en découlent. Une série de plans empruntés à des lieux ou à des corps différents montés ensemble donnent l’illusion d’un seul lieu ou d’un seul corps qui n’existent que dans un espace et un temps purement cinématographiques. Vsevolod Poudovkine en déduit que le montage ne consiste pas à structurer des morceaux de réalité, que les images prélevées sur cette réalité perdent toute relation avec celle-là: une explosion filmée ne donne pas le sentiment d’explosion. Dans La Fin de Saint-Pétersbourg (1927), une construction bien agencée, à partir d’images sans rapport avec l’explosion, voire sans contenu (flashes blancs), crée seule la sensation de l’explosion. Mais c’est surtout Dziga Vertov et Sergeï Mikhaïlovitch Eisenstein qui donnent au montage, sous l’égide de la pensée marxiste, une fonction entièrement nouvelle: c’est une méthode (scientifique pour Eisenstein) d’analyse de la réalité et un instrument de pédagogie. Vertov croit à l’authenticité du “ciné-œil”, “œil plus parfait que l’œil humain”, mais le montage explique scientifiquement le fonctionnement de ce réel pris sur le vif (“fixation du processus historique”), et opère un “ciné-déchiffrement communiste du monde”. Pour cela, les “intervalles”, passage d’un mouvement à un autre, sauts dialectiques entre deux séries d’images, voire deux plans, doivent être perçus en tant que tels par le spectateur afin qu’il saisisse la différence entre la réalité et sa représentation, tout comme le travail d’analyse opéré. Par la suite, le spectateur pourra non seulement appliquer lui-même cette méthode à la vie quotidienne, mais également prendre conscience des mécanismes du cinéma et devenir cinéaste.

Si Vertov rompt résolument avec le principe de la collure invisible au profit de la coupe, du saut, Eisenstein, lui, privilégie la collision, plus conforme à la dialectique marxiste. Dans la séquence de La Grève (1924), où il fait alterner les images de la répression des ouvriers avec celle des animaux égorgés aux abattoirs, le “montage des attractions” implique la mise en relation de deux images hétérogènes dans le temps comme dans l’espace. Plus la première sera éloignée de la seconde, voire contradictoire, plus l’impression sur le spectateur sera forte et engendrera un troisième terme, non contenu dans les deux premiers. La “ciné-dialectique” d’Eisenstein s’inspire des formalistes russes et de la linguistique structurale naissante: tel le mot, le plan n’a de sens que par son emplacement dans une suite de plans, la séquence ou le film entier. Le réalisateur, ou “ciné-monteur”, est un “ingénieur des âmes”. Un montage est “fabriqué”, tel le pont d’un ingénieur, en vue de supporter une certaine charge émotionnelle, de produire un effet précis sur le spectateur: le pathétique dans Le Cuirassé Potemkine , ou l’idée, comme dans Octobre . La “ciné-langue”, “montage intellectuel” ou “vertical”, court-circuite le processus “effet (de montage)-émotion-idée” pour passer directement du rapprochement de deux images, puisées dans un stock défini, tels les mots d’une langue, au concept. Le montage élabore alors une écriture idéographique dont la fonction demeure de “labourer” le psychisme du spectateur dans un sens déterminé.

Montage oblitéré, montage interdit

À ce montage visible s’opposent deux types de montages invisibles. Le premier, déjà cité, est celui du cinéma hollywoodien classique, devenu la norme internationale. Il n’est pas moins manipulateur que celui des Soviétiques, mais vise à effacer toute marque du travail créateur que revendiquait avec force Vertov. Aucun obstacle matériel ne doit s’opposer à l’identification du spectateur à l’imaginaire que lui propose l’usine à rêves hollywoodienne (ou autre). En revanche, ce n’est pas un effacement des traces que revendique l’école phénoménologique illustrée par Roberto Rossellini comme cinéaste et par André Bazin comme théoricien. “Les choses sont là, explique le premier, pourquoi les manipuler? [...] Toute idéologie est un prisme.” Pour Bazin, le cinéma, pur instrument mécanique, a pour fonction de révéler la réalité ontologique du monde en dehors de tout regard humain, de toute idéologie. Le montage ne saurait être que trahison de cette vocation, dès lors qu’il suppose une intervention humaine, donc une interprétation superposée à la vérité nue du monde. Il n’a qu’une fonction logique – situer la caméra à la meilleure place, voir ce qui est important – et est frappé d’interdit lorsqu’il détruit la continuité du réel, nécessaire à la crédibilité d’une scène. Bazin reproche aux Russes de croire à l’image et non à la réalité. L’unité sémantique n’est plus ici le plan, mais la séquence, et Bazin privilégie les techniques – alors modernes – qui respectent la “robe sans couture de la réalité”: le plan-séquence et la profondeur de champ, à l’œuvre chez Rossellini, Renoir, Welles ou Wyler. Dans la foulée, Éric Rohmer, dans un article au titre significatif, “Le Cinéma, art de l’espace” (1948), rappelle: “L’art du cinéma ne se réduit pas à la technique du changement de cadre, et, même aujourd’hui, la valeur expressive des rapports de dimensions ou du déplacement des lignes à l’intérieur de la surface de l’écran peut faire l’objet d’un soin rigoureux.”

Les deux voies du montage aujourd’hui

Contrairement à ce que l’on pouvait attendre, le montage ne disparut pas avec la nouvelle vague, fille de Bazin et de Rossellini. Mais également d’Orson Welles, dont le film manifeste, Citizen Kane (1941), utilisait déjà aussi bien le plan-séquence et la profondeur de champ que toutes les ressources anciennes et nouvelles du montage. Depuis la guerre, et plus encore depuis la fin des années 1960, le montage est soumis à une double postulation. La publicité, comme le vidéo-clip, et tout un cinéma “à effets” issus de ces écoles suivent sans état d’âme la voie ouverte par les Français (rythme, musique) et les Russes (labourer le psychisme). En 1958-1959, À bout de souffle , de Jean-Luc Godard, et Hiroshima mon amour , d’Alain Resnais, ont proposé une autre conception du montage, plus conforme aux conceptions de Rossellini qu’à celles d’Eisenstein: un montage ouvert aux aléas du réel, qui ne nie pas les contradictions mais les renforce, qui ne cherche pas à faire sens, à imposer une signification (une idéologie) mais à désigner, dans leurs manifestations les plus infimes, les béances de sens de la réalité, voire son “insignifiance” fondamentale. Le montage ne vise pas à “informer” – dans tous les sens du mot – le réel, mais à en manifester les formes, voire les déformations. Welles, encore, en a fait ironiquement la théorie dans Vérités et Mensonges (1974), et Godard l’utilise dans ses Histoire(s) du cinéma . Alors que le montage numérique, remplaçant le montage à la loupe des premiers temps et le montage visuel (à la Moviola, Moritone ou Steenbeck), permet toutes les manipulations et tous les trucages, la conception et la pratique du montage demeurent l’enjeu essentiel du cinéma et de l’audiovisuel en général: montage-dictature ou montage-démocratie?

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем написать реферат

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Cinema — Cinéma Pour les articles homonymes, voir cinéma (homonymie) …   Wikipédia en Français

  • CINÉMA - Les théories du cinéma — Le cinéma a la particularité d’être né de la technique moderne. Il est même l’un des symptômes et des causes de la modernité. Par leur existence, ses principes – c’est à dire la reproduction technique, le collage et le montage, avec les nouveaux… …   Encyclopédie Universelle

  • CINÉMA - Histoire — La première projection du cinématographe Lumière a lieu le 28 décembre 1895, au Grand Café, boulevard des Capucines à Paris. Le nouvel art puisera abondamment dans le trésor dramatique aussi bien théâtral que romanesque, du XIXe siècle finissant …   Encyclopédie Universelle

  • CINÉMA - Techniques — Avant de devenir un art et une industrie, le cinéma est une somme de techniques. Du XVIIIe siècle à nos jours, mais surtout au XIXe siècle, une suite de découvertes aboutit à la mise au point des premières caméras. Par un brevet en date du 13… …   Encyclopédie Universelle

  • Cinema 1: The Movement Image —   …   Wikipedia

  • CINÉMA - Mise en scène — Appliqué au cinéma, le terme de « mise en scène » est l’un des plus ambigus qui soient. Il fut rejeté dans les années dix et vingt, tout l’effort visant à définir la spécificité du septième art et à l’arracher à ses origines théâtrales. Divers… …   Encyclopédie Universelle

  • montage — [ mɔ̃taʒ ] n. m. • 1604; de monter (II) 1 ♦ Rare Action de monter, de porter plus haut, d élever. Montage des grains. 2 ♦ (1765 montage de métier [filatures]) Opération par laquelle on assemble les pièces (d un mécanisme, d un dispositif, d un… …   Encyclopédie Universelle

  • Montage Vidéo — Le montage vidéo consiste à sélectionner des images enregistrées sur un support non argentique et à assembler le tout en une suite cohérente. C est l une des opérations finales dans la réalisation de documentaires, téléfilms, reportages, vidéo… …   Wikipédia en Français

  • Montage assisté par ordinateur — Montage vidéo Le montage vidéo consiste à sélectionner des images enregistrées sur un support non argentique et à assembler le tout en une suite cohérente. C est l une des opérations finales dans la réalisation de documentaires, téléfilms,… …   Wikipédia en Français

  • Montage video — Montage vidéo Le montage vidéo consiste à sélectionner des images enregistrées sur un support non argentique et à assembler le tout en une suite cohérente. C est l une des opérations finales dans la réalisation de documentaires, téléfilms,… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”